Nicolas Florsch, Chi Quang TRUONG
Question scientifique et contexte
La modélisation des systèmes complexes entretient un cercle vertueux avec les recherches disciplinaires et leurs applications : elle se nourrit de leurs avancées pour, à son tour, les alimenter de questionnements et de développements conceptuels et techniques. Ce phénomène s’est accéléré ces dernières années avec le développement exponentiel des moyens et outils computationnels, qui permettent aujourd’hui d’aborder des questions de modélisation de plus en plus complexes faisant appel à des techniques (de simulation, d’exploration ou de visualisation de modèles) de plus en plus sophistiquées. Ce faisant, le modèle a progressivement changé de statut : autrefois pure production scientifique, il est maintenant appelé à devenir un support à la négociation, à l’aide à la décision, à la vulgarisation ou à la sensibilisation. Il a également changé de substance : auparavant produit d’une théorie (mathématique ou informatique), il est devenu composite, hybride, intégrant des formalismes différents afin de répondre au mieux aux questions posées. Ses modes de conception ont également évolué : du modélisateur spécialisé dans une technique spécifique, on est passé à des équipes pluridisciplinaires voire des équipes intégrant directement des participants ou des décideurs, comme dans le cas de la modélisation participative.
Ces évolutions ont généralement eu comme motivation, au sein d’UMMISCO comme ailleurs, des questions de modélisation posées dans le cadre d’applications ou de demandes précises, dont les solutions ont pu être ensuite généralisées pour répondre à d’autres questions, dans d’autres applications et avec d’autres intervenants. Inversement, elles ont permis de proposer de nouvelles approches qui ont rendu possibles des projets très innovants (comme, par exemple, l’usage de simulations participatives basées sur une interaction physique avec le modèle dans MarrakAir). Une réflexion sur les aspects théoriques ou méthodologiques de la modélisation des systèmes complexes ne saurait donc se passer d’une mise à l’épreuve sur des applications réelles, a fortiori dans le cadre de l’IRD, où les approches développées par UMMISCO ont vocation à servir dans des projets opérationnels d’aide au développement.
Ce thème a aussi vocation à rassembler tous les chercheurs de l’unité travaillant au sein de projets appliqués afin qu’ils puissent réfléchir, au-delà des modèles finalisés qu’ils seront amenés à concevoir, à des recommandations méthodologiques concernant l’usage de la modélisation ou à des généralisations possibles de leurs approches. De la compréhension, grâce à des modèles, de certains phénomènes complexes à la conception d’outils d’aide à la décision permettant à différents intervenants de les contrôler ou de les adapter, ce thème explorera donc une vaste palette d’approches. Fortement pluridisciplinaire, il contribuera à essaimer ces approches, d’abord au sein des différents partenaires d’UMMISCO et ensuite, plus largement, au sein des différentes communautés scientifiques avec lesquelles nous sommes en interaction. Les chercheurs de l’UMI sont impliqués dans des projets ambitieux tels que les ANR Panic, GenStar, ESCAPE, Camisole et LittoSim et ont ainsi développé une véritable expertise concernant la création de modèles multidisciplinaires à grande échelle ainsi que des partenariats solides.
Objectifs Scientifiques
Différents verrous scientifiques sont identifiables en fonction de l’usage qui est fait des modèles développés dans le cadre de projets applicatifs. Etant donnée, cependant, la tendance de plus en plus marquée à la conception de modèles intégrés et pluridisciplinaires, élaborés pour servir de support à des activités prospectives, de sensibilisation ou d’aide à la décision, nous pouvons en distinguer trois principaux :
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Capitalisation, réutilisation, généralisation : la capacité à adapter et à généraliser les outils et les méthodes développés par UMMISCO pour aborder de nouveaux sujets de modélisation.
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Approches participatives : la capacité à concevoir des modèles en interaction étroite avec, non seulement, les experts du domaine, mais aussi différents participants (décideurs, utilisateurs, individus modélisés) afin d’augmenter leur engagement ou d’affiner le paramétrage du modèle.
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Exploration et expérimentation : la capacité à explorer des ensembles de scénarios le plus complètement et le plus efficacement possible, et à exploiter les données qu’ils produisent.
Chacun de ces verrous est en soi un domaine de recherches à part entière. Notre contribution scientifique dans les domaines précédemment cités se fait en collaboration avec d’autres unités spécialistes de ces domaines en particulier à l’IRD (MIVEGEC, MARBEC, Eco&sol, IIES) et se concrétise par la conception de modèles en appui aux recherches plus thématiques, avec cependant une attention nouvelle et marquée à la construction d’un corpus de bonnes pratiques et d’outils transversaux, qui constitueront de fait la majeure partie de nos objectifs scientifiques, afin de:
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Favoriser la participation (des scientifiques, des intervenants) à la conception de modèles, à l’interaction avec les simulations et à leur visualisation, et étudier comment ces outils peuvent être généralisés à d’autres applications.
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Faciliter l’exploration de modèles et construire une méthodologie d’expérimentation des modèles numériques qui soit indépendante du domaine d’application.
Au delà de la mise en place de ces méthodes et outils transversaux, nous avons l’ambition d’avoir un apport concret plus spécifique dans les thématiques présentées plus haut:
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En halieutique, tendre vers la conception de modèles hybrides, qui rassemblent et interconnectent des modèles de pêcherie, de dynamique des populations, économiques ou climatiques, reconnus par la communauté dans un ensemble cohérent pour l’aide à la décision.
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En dynamique urbaine, tendre vers la conception de modèle urbains plus réalistes (voire “connectés” dynamiquement aux données recueillies par des capteurs) et à grande échelle, capables non seulement d’offrir un support pour concevoir des réponses à des problématiques d’aménagement, de pollution ou de mobilité, mais aussi de permettre l’évaluation de scénarios d’aménagement et de planification urbaine.
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En santé, construire des modèles multi-échelles qui assurent la cohérence spatiale et temporelle de descriptions de comportements locaux (déplacement d’un vecteur, prise en charge de patients, stratégie locale de contrôle) et globaux (e.g., politique de santé publique à l’échelle d’une région ou d’un pays) pour offrir un support décisionnel aux décideurs ou opérateurs de santé publique.
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En écologie, construire des modèles capables de mettre en relation les pratiques agricoles à l’échelle du paysage et le fonctionnement interne du sol à l’échelle microscopique, par exemple à des fins de préconisation sur les pratiques de fertilisation et de gestion de l’eau pour un usage durable des ressources et une agriculture raisonnée.
Un des principaux défis à relever dans ce thème concerne le respect de l’équilibre entre les développements propres à une thématique ou à une question et leur généralisation à d’autres projets. Nous faisons en sorte de tirer profit de la distribution géographique de l’unité pour qu’un modèle, réalisé dans un des pays concernés, puisse être réutilisé ou testé dans un autre. Par exemple, les modèles de pollution atmosphérique utilisés pour Marrakech ont vocation à être mis en oeuvre dans les autres grandes villes du Sud où l’unité est implantée (Hanoï, Dakar, Yaoundé), avec comme objectif de disposer d’un modèle “universel” et facilement transposable à de nouvelles villes.
Axes de recherche
Partir des savoir-faire existants à UMMISCO et les formater pour produire de l’exemplarité .
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Halieutique (modèles hybrides, prise en compte des changements globaux, démographiques, climatiques etc.)
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Dynamique urbaine (modèles plus réalistes et connectés en temps réel, élaboration de scénarios appuyés sur les retours d’expérience)
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Sur les maladies infectieuses (modèles multi-échelles et surtout à multi-déterminants (du climat à la politique de santé)
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En sciences du sol et écologie (gestion durable eau /érosion /intrants/ usages)
Animation du thème
Communiquer, communiquer, communiquer
- Entre chercheurs, étudiants, en profitant de la dynamique Nord-Sud qui est fondamentale pour la généralisation et les abstractions de la discipline (toujours l’universalité: quels invariants?)
- Avec les autres acteurs des systèmes complexes ayant une vocation/composante sociétale
- Il faut aller vers un colloque Nord-Sud, pour et parce que la valeur Applications est fédérative (acteurs et décideurs sociétaux et théoriciens des modèles et des données)
Occupation de la « niche IRD »
- Lieu des synergies cognitive et expérimentale (dont données) d’un axe géographique unique et précieux pour la connaissance.